GE - Une photo par jour

Whabalaukthauk - 14 heures 22

Les contorsions de l'instinct de survie : 

 

…dénicher un bol de riz, chercher un travail, arnaquer un naïf, vendre son corps pour le plaisir d'un autre, se faire flic, ou mieux soldat, faire carrière dans la banque - si on peut - fouiller les poubelles, vendre des gris-gris, du rêve, des cailloux, du vent, ou alors, simplement fumer un cheerot, le cigare du pauvre: 

 

Deux grands-mères, aveugles, fument toute la journée à l'entrée d'un temple. Les touristes éblouis par cette très photogénique incongruité en perdent la boule, exultent, s'excitent entre eux, se rapprochent bafouillants : « Photo ! Photo !…Yes ? Yes ! ». C'est la dignité des deux vieilles, sûrement parce qu'aveugles, qui force les touristes à ce sursaut de politesse. « Oh yes, yes… » et clic et claque, Zipp et Vlan et Chlokk. Alors bien sûr, lorsque les pièces tintinnabulent dans les sébiles, les deux grand-mères crachent leurs nuages de fumées comme de veilles locomotives, et tout le monde est content. 

 

Un peu plus loin, accoté au temple, un homme surveille tout ce cirque avec un beau sourire carnassier. Probablement l'imprésario des deux grand-mères. 

 

Alors voilà, moi aussi je fais la queue, ne suis pas dupe, non, mais vais-je photographier comme les autres ? J'hésite. Cette image vaut-elle le prix à payer, pas en pièces de monnaie bien sûr, mais en contradictions avec ses idées de dignité. Merde. Dilemme. Je donne d'abord une pièce sans faire d'image. Puis me ravise, me replace dans la queue, fais une image sans donner de pièce, mais le bel imprésario me lance, injonctif : « Money, give money… ». Alors comme un con je give money, et comme un con, queue entre les jambes je détale en souhaitant être ailleurs mais un rire puissant, qui provoque simultanément celui des deux grand-mères, me fait me retourner : 

 

« Thank you ! Thank you very much ! » me lancent-ils tous en chœur…

[Francis Traunig]

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