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Je suis parti pleins d'illusions, je suis arrivé pleins de désillusions ! Non pas que cette aventure m'est déplu, au contraire, mais parce que ce n'était pas ce que je m'étais imaginé au départ. J'ai aimé la partie française ainsi que le Camino aragonès de Jacca à Puenta-la-Reina pour les rencontres que j'ai faites et le fait que j'ai cheminé pratiquement seul sur les premiers 800 km. Côté français, la plupart des gîtes étaient agréables et j'ai surtout bien mangé car certains logeurs se donnaient vraiment de la peine pour ravir les babines des pèlerins. À certaines occasions j'ai encore trouvé un esprit du Chemin. Par contre, côté espagnol, depuis Puenta la Reina le Chemin est devenu surfréquenté et international. À partir de là mon esprit a été perturbé par tout ce monde. Je me suis dit quelquefois « mais qu'est-ce que tu fous-là ». Il m'a fallu plusieurs jours pour m'adapter à ce barnum « spirituel ». De purement spirituel qu'il était au Moyen Âge, le pèlerinage de Compostelle est devenu touristique, c'est pourquoi on rencontre des gens qui font le Chemin comme s'ils allaient passer quelques jours à Ibiza ou à la Costa Brava. À cela s'ajoute l'aspect économique, car le chemin ne coûte pas cher : on va à pied ou à vélo et l'on fait l'étape dans des albergues peu onéreuses (j'ai payé 7 euros la nuit en dortoir dans des albergues municipales ou paroissiales).
À Moissac, j'ai vu des gens sortir du coffre de leur voiture (Mercédes) des sacs de randonnées et parcourir deux cents mètres jusqu'à l'Ancien Carmel. Arrivés à la réception ils ont fait croire qu'ils avaient fait le Chemin et qu'ils étaient exténués. Tout ce cirque pour ne pas se payer une chambre d'hôtel. Actuellement certains grippe-sous ont compris l'astuce. Et c'est ces gens-là, qui, le soir à table, on la gueule ouverte.
Sur ce Chemin, de Puy-en-Velay à Compostelle, j'ai toujours eu une petite étoile qui m'a accompagné. Durant les 80 jours de marche, je n'ai eu aucun problème (le seul c'est mon ordi qui a beugué). Malgré les difficultés parfois pour trouver un lit pour la nuit car tout était complet j'ai toujours eu de la chance. Il y avait tout à coup une personne qui apparaissait et m'indiquait une adresse qui s'avérait être exactement ce que je cherchais. Avec les logeurs j'ai eu de bons contacts. Les espagnols savent faire la différence entre un « peregrino» et un tourigrino.
Dans les albergues qui contiennent parfois 40 à 60 lits superposés on rencontre des gens de toutes les nationalités, des Américains, des Australiens, des Néozélandais, des Coréens, des Japonais, des Taiwanais, des Brésiliens, des Mexicains, des Irlandais, des Italiens, des Allemands, des Danois, des Suédois, des Finlandais, des Polonais, des Autrichiens, des Suisses, etc. C'est intéressant de voir tout ce monde, homme et femme de tout âge cohabiter. Il y a les maniaques de l'ordre, ceux du désordre, les gueulards, les silencieux, les timides, les gros gonflés, les ronfleurs, les péteurs, les insomniaques, les noceurs, ceux qui n'ont aucun respect pour les autres qui dorment, les angoissés, ceux qui toutes les 30 secondes consultent leur smartphone (c'est une grande majorité de tout ce monde), ceux qui n'arrêtent pas de parler, qu'il soit vingt-trois heures ou cinq heures le matin (surtout les italiens) et j'en passe et des meilleurs. C'est un melting-pot fort intéressant pour comprendre l'être humain et sortir de son confort habituel. Beaucoup de ces personnes tu les rencontres au fur et à mesure des étapes dans différentes albergues, des amitiés se crées mais aussi des animosités (silencieuses) car même si nous sommes sensé être sur un chemin spirituel nous ne vivons pas dans un monde parfait.
En traversant toutes ces zones rurales de la France, du Puy-en-Velay aux Pyrénées, j'en ai vu beaucoup de tracteurs répandre leur poison dans les champs cultivés et les vignes. C'est très préoccupant pour l'avenir de notre planète.
Les médecins de terrain sont très inquiets pour les personnes exposées aux pesticides et les liens qui sont maintenant établis par les professionnels avec certains cancers et certains troubles neurologiques tel que la maladie de Parkinson ; inquiets des liens qui sont retrouvés aussi chez les enfants dont les mères ont été exposées, inquiets car l'imprégnation de la population est générale... Mais la Coordination rurale de ces pauvres patelins à moitié abandonnés, vide de tous commerces et de bistros, de ces problèmes de santé elle s'en fout. Surtout, ne pas faire de réflexions désobligeantes à ces pauvres paysans, car ils sont très susceptibles.
En Espagne c'est encore pire, en Castilla y Leon, sur près de 200 km, c'est des champs de blé, de colza et autres cultures à perte de vue que j'ai traversé et là, c'est des défilés de gros tracteurs qui s'en vont gaiement asperger leurs champs de poison avant la récolte et la distribution de leurs produits dans toute l'Europe. Les assurances-maladies, les hôpitaux, les morgues ont un bel avenir devant eux.
Ceci dit, j'ai aimé le spectacle du vent dans ces immenses champs de blé ondulant qui ressemblaient aux vagues de l'océan.
En traversant la Castille, les pèlerins s'attendaient à affronter des plaines presque désertiques et arides. Mais surprise, tout était vert. On s'est rendu compte qu'en général, les photos que l'on voit dans les magazines où les livres sont prises après les récoltes, quand toutes les terres sont rasées et jaunes et que les pèlerins marchent sous des températures de 35° à 40°. Pour ces raisons, avant le départ, j'appréhendais ces 200 km dans ces plaines castillanes, mais à aucun moment je n'ai vraiment souffert de la chaleur, le ciel était souvent couvert. Le seul ennui, c'était de marcher sur une centaine de kilomètres sur des petits sentiers qui longeaient des routes goudronnées.
Il est clair que je fais aussi parti de ce flux de touriste qui affluent sur le Chemin, mais il y a tromperie sur la marchandise. J'étais sensé faire un chemin spirituel moyenâgeux et je me suis retrouvé sur un chemin de randonneurs « estampillés Decathlon» interconnectés à la connerie du monde. J'étais parti en espérant rencontré des personnes qui sortaient des sentiers battus et je n'ai rencontré que des pauvres gens qui ne pouvaient pas se libérer de leurs contraintes quotidiennes. Et je ne parle pas de ceux qui qui continuaient de travailler sur le Chemin que l'on entendait 100 mètres à la ronde donner des directives à leurs collaborateurs.
Tous ces marcheurs avaient leur bible : le « Miam Miam Dodo Chemin de Compostelle ». Le soir, à table, on ne parlait que des conseils que donne le guide, des parcours que l'on va découvrir, des difficultés que l'on va rencontrer, et chacun y allait de ces commentaires. Les gens ont peur de l'inconnu, ils veulent tout gérer, tout prévoir et au moindre problème ils sont désorientés.
Si certains soirs les repas étaient lourds, par contre d'autres soirées pouvaient être plus joyeuses. Si l'hôtes était généreux en vin (compris dans le prix de la pension) certaines soirées tournaient à la rigolade et ces bonnes ambiances vous dévoilaient des personnalités que vous n'aviez pas soupçonnées. Lors de ces repas en gîte ou albergue, il y a à table des personnes de tous les âges, de différent statut social, différentes nationalités, des croyants, des non-croyants, des mentalités totalement opposées, mais tout ce monde malgré tout, lors d'une soirée, arrivait à cohabiter.
Le Chemin que la plupart des tourigrinos effectuent, c'est MARCHER, MANGER, DORMIR et comme l'a dit Maëla lors d'une de ces soirées « et faire CACA »
J'ai intitulé ce voyage de Compostelle « L'AUTRE CHEMIN ». Mais ce n'est pas le chemin que la chrétienté a tracé au 9ème siècle qui a fait que j'ai décidé d'entreprendre ce pèlerinage sur Santiago de Compostela ; ce n'est pas les traces de l'apôtre Jacques que je voulais suivre, non ! Je ne me suis pas du tout intéressé à ce chemin moyenâgeux parsemés d'histoires abracadabrantes, de miracles invraisemblables et d'os de saints et de saintes qui ont contribué à l'enrichissement de certains lieux de culte. Durant des siècles, on a pris les pèlerins pour des imbéciles et encore aujourd'hui on continue à nous abreuver avec cette légende qui n'a ni queue ni tête. C'est une fâcheuse habitude de l'Eglise que de vouloir user de la crédulité des gens.
Le chemin que j'ai entrepris de parcourir, c'est le chemin que l'Eglise qualifie « d'hérétique ». Compostelle est bien plus ancien qu'on le croit, et sa tradition a été entretenue à travers les siècles bien avant qu'il ne fût un pèlerinage religieux. L'Eglise, en s'emparant de ce pèlerinage, n'a fait que sanctifier, comme souvent, une pérégrination qui existait depuis fort longtemps. L'endroit à Compostelle qui s'appelait jadis Asseconia, était un lieu énergétique très puissant, un lieu de culte pour les anciens druides... Mais alors, pourquoi se rendais-t-on en Galice, pays celtiques, sur le Chemin des étoiles en suivant la voie lactée ?
L'essentiel du chemin de Saint-Jacques n'est pas Compostelle, c'est le chemin ! Et il y a autant de chemins qu'il y a de pèlerins qui ont Santiago de Compostela comme but final. Chaque personne à sa propre motivation.
À Compostelle, la plupart des pèlerins pensent qu'ils sont arrivés. Ils vénèrent le tombeau de saint Jacques, touche le manteau de sa statue, demande pardon de leurs péchés et admirent les ors de la cathédrale. La crypte est le but de tout pèlerin, conformément au rite prescrit par le chapitre de la cathédrale. Ensuite ils assistent à la messe des pèlerins qui clôture en beauté leur chemin. Après la cérémonie, ils envahissent les bars à tapas et les restos de Santiago afin de terminer leur pèlerinage le ventre plein et des souvenirs qu'ils ont stocké par milliers dans leur smartphone qui viendront rejoindre les innombrables photos de familles et de voyages ultérieures.
Un des célèbres et des plus importants symboles de la cathédrale c'est le Botafumeiro ou turibulum magnum connu dans le monde entier. Il s'agit d'un encensoir géant à usage liturgique, dans lequel on brûle de l'encens. Huit tiraboleiros le manœuvre en tirant sur des cordes et le font osciller en le montant à 20 mètres de haut dans la voûte en formant un arc de 65 m. Il passe ensuite à ras du sol à une vitesse de 60 km/h. en laissant derrière lui un fin sillage de fumée d'encens. Ce symbole est là pour écarter les présences malignes et pour libérer les négativités spirituelles. Dans la liturgie chrétienne catholique, l'encens est brûlé pour symboliser la prière et la vénération envers Dieu.
En réalité, le Botafumeiro a eu une histoire séparée et son utilisation a changé au cours du temps. À l'origine il n'était pas à proprement dire un encensoir utilisé pendant les cérémonies, mais un grand récipient utilisé pour brûler l'encens et masquer les odeurs des pèlerins qui, de nuit, s'entassaient dans la cathédrale à la recherche d'un abri. De la transpiration des pieds et des aisselles on est passé à la vénération de Dieu, quel symbole !
Je n'ai pas assisté au balancement du Botafumeiro car il est utilisé à l'occasion des messes solennelles et de célébrations particulières. D'ailleurs je n'y aurais même pas assisté car je suis allergique à l'encens.