je ne photographie pas...
je parle avec la postière quand une sorte de coup de feu éclate derrière nous, contre la vitre de la cour
rejeté à deux mètres de l'impact et tombé sur le béton, le pigeon hésite, pas bien haut sur ses pattes
il tente de lever ses ailes, épaisses et molles comme le manteau fastueux et trop grand et trop lourd que l'enfant déplace avec peine dans son rôle du roi Lear aux promotions de l'école
puis son cou se redresse d'un mouvement saccadé avec une certaine dignité
on dirait qu'il joue l'empereur offusqué devant les manants qui l'ont destitué
alors il s'affaisse doucement, toutes douleurs effacées, et reste là sans mouvement, collé au béton chaud
mort
je ne photographie pas son corps d'ex prince minable
le problème avec la photographie est qu'elle peine à ouvrir des espaces multiples à la pensée, prisonnière du rendu de l'instant, éteinte par sa perfection technique et toujours guettée par la facilité du sensationnalisme (couchers de soleil sublimes, victimes attérées d'attentats, affairistes resplendissants de prétention, pigeons mourants dignement, décolletés de nanas trop arrangées ... bien peu de variations dans tout ça...)