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Carnet de route d'un UPjiste - Un hiver indien – 28 – Bûcher funéraire au bord du fleuve sacré

LE BÛCHER FUNERAIRE 

 

En face de Swarg Ashram une fumée s'élève : celle d'un bûcher funéraire autour duquel des hommes, assis en tailleur, viennent rendre un dernier hommage au défunt. 

Après leur mort, les hindous sont incinérés. Mais pas tous. Les bébés, les femmes enceintes, les sadhus, les lépreux, les victimes de la petite vérole et des morsures de cobras n'ont pas le droit d'être brûlés. On les enveloppe dans un linceul et on les jette dans le fleuve avec une pierre. 

 

En Inde, lorsque le décès est constaté, la toilette du mort est faite soigneusement, il est habillé comme pour un jour de fête. On l'entoure de nourriture qui représente les aliments destinés à entretenir ses forces pour accomplir le « grand voyage » ; puis, après nombreuses prières pour que l'âme puisse partir sereine, on conduit le mort au bûcher où son enveloppe physique va brûler. 

La suite, je l'ai emprunté à l'écrivain Dhan-Gopal Mukerjii qui décrit dans son livre « Village hindou Ghond-le-chasseur» une cérémonie funéraire : 

 

Les charretiers apportent des piles de bois et pendant ce temps le prêtre chante et répète : 

 

« Sans naissance et sans mort – immuable est notre Âme. 

Qui s'imagine qu'elle meurt ignore la vérité : 

Comment mourait-elle, celle qui jamais ne condescendit à naître ? 

Au-dessus du changement, au-dessus de la Mort, 

L'Âme est contemporaine de Dieu, 

 

Les charretiers empilent les bûches et forment une haute plate-forme ; lentement et doucement ils placent le mort. Ils le couvrent de bois de santal, surmonté de bois ordinaire. 

Un des parents le plus proche, accompli en personne les rites funéraires. Il allume un tison et marche sept fois autour du bûcher, priant ainsi, selon les instructions du prêtre :  

 

Akassastu niralamva 

Vaya bhoota nirasraya 

 

Te voici dans les sphères célestes ! 

Ni le vent, ni la Terre, aucun des mondes vivants 

Ne sauraient te retenir. 

 

Va, va, au royaume de l'éternelle Vie, d'où tu étais venu ! 

Les ancêtres de ta race, 

Les Divins Anciens t'accueillent. 

Revêts le manteau de la splendeur divine ! 

Dans les vallées semées d'étoiles, auprès des fleuves de lumière, va ! 

Demeure à jamais là, où tous désirs sont accomplis. 

 

Le parent applique alors le tison au bûcher funèbre et l'allume. La flamme s'élève très haut, tandis que le vent emporte la fumée. 

Vers le milieu du jour, là où brûlait un feu ne se trouve plus qu'une poignée de cendres. Le parent la recueille et va la disperser dans le cours du Gange. 

 

Va, va, sur le courant rapide et purificateur, 

A la maison de Dieu, où tout est Paix et éternelle Vie ! 

 

Dhan-Gopal Mukerjii 

 

Les cendres, jetées au fleuve seront ainsi sanctifié par l'eau sacrée. Les cendres seront régénérantes pour l'eau de ce fleuve, autant que régénérée par elle. 

 

Dans les années nonante, j'ai passé plusieurs semaines à Bénarès. Tout bon hindou rêve de se rendre dans cette ville au bord du Gange pour y mourir et y être incinéré. Il y a deux emplacements où l'on brûle les morts. Le plus connu est au Manikarnika Ghat où les touristes sont emmenés par petits groupes pour contempler depuis le balcon d'un temple les bûchers allumé. Tels des voyeurs, ils observent les crémations avec pour certains un air de dédain, pour d'autres soulagés car ils s'attendaient au pire, et pour un petit nombre, ravis d'avoir réussi à braver l'interdiction de photographier. Le fin du fin à cette époque, c'était le « Guide du Connard » qui décrivait dans son guide pour potache parisien boutonneux, « Si vous sentez une odeur de poulet rôti, c'est que vous êtes arrivé à Manikarnika Ghat ». 

Ne voulant pas passer pour un voyeur et voulant respecter la paix des morts, j'évitais soigneusement cette endroit.  

Tous les soirs, au coucher du soleil, j'allais à Dasaswamedh Ghat, boire un chai dans un petit Chaishop très sympathique et delà j'observais la foule qui se pressait sur les ghats. J'y rencontrais certains soirs, des infirmières suisses qui venaient boire un thé après leur travail dans un dispensaire qui aidait les pauvres indiens de la ville, financé par des fonds suisses. Un jour, une des infirmières vint me trouver et m'annonça que sa sœur, avec qui j'avais bu un chai la veille, était décédée durant la nuit. En accord avec ses parents et les assurances, il avait été décidé de l'incinérer à Bénarès plutôt que de rapatrié le corps. C'était d'ailleurs les désirs de la défunte. Sa sœur venait me demander si je voulais bien venir avec les autres infirmières conduire le corps sur le bûcher de crémation. Moi qui ne voulais pas passer pour un voyeur en allant observé les morts brûlés, voilà que j'allais participer directement à une crémation. Ce fut une expérience très forte que je n'oublierai jamais ; durant les trois heures que le corps se consume sur le bûcher, vous avez le temps de cogiter dans votre tête et de penser à la mort. Tout autour de nous, d'autres crémations se déroulaient. J'étais étonné de la sérénité qui se dégageait autour de ses morts et je ne pouvais éviter de faire la comparaison avec nos enterrements dont l'atmosphère est beaucoup plus lourde. Au bout de trois heures, quand la boîte crânienne éclate, c'est la fin du rituel. Tout est accompli ! 

Deux ans après, je rencontre un copain de Genève et au cours de la conversation, j'apprends qu'il se trouvait à côté du mari de l'infirmière que j'avais emmené sur le bûcher, quand on lui téléphona de l'Inde pour lui annoncer le décès de sa compagne.

[Jean-Louis Claude]

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