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Manche

La première fois que je l'ai vu, il m'a surpris. Je pianotais sur mon téléphone mobile dans l'embouteillage endémique à la sortie du périphérique Porte de Gentilly, lorsque qu'il frappa brutalement à ma glace.  

 

Il était grand et son visage peu avenant ébaucha un rictus quand il me fit signe d'un mouvement circulaire de la main de descendre ma vitre. J'obtempérais, sans pour autant lui révéler qu'une commande électrique avait depuis bien longtemps remplacé la manivelle installée naguère sur la portière des automobiles.  

 

Je l'imaginais flic, agent du fisc, huissier de justice, ou pire entraîneur de football, mais c'est lorsque qu'il frotta mécaniquement son pouce contre son index que je compris enfin qu'il faisait la manche, dans un style particulier à la fois rustique et rugueux. 

 

J'eus une sueur froide en songeant que je n'avais pas le moindre centime sur moi et courageusement je lui en fis la confidence avec toutes les excuses de circonstance.  

 

Il prit ma courtoise réponse comme une offense impardonnable faite à la classe ouvrière dans son ensemble et au lumpen-prolétariat en particulier et, ravalant difficilement son dépit, il me jeta un postillonnant “et une cigarette ?”… Je m'en voulu d'avoir arrêté de fumer quelques mois auparavant pour de stupides considérations de santé et je dus lui avouer également mon plus total dénuement en la matière.  

 

Il s'éloigna alors lourdement dans un borborygme digestif des Carpates pour aller tenter sa chance auprès d'autres automobilistes qui sagement patientaient en observant la scène à l'arrière.  

 

La vie me paru tout d'un coup à la fois sotte, vaine et saugrenue, et il n'y eut guère qu'un frémissement de démarrage devant moi pour me sortir de ma pensive désespérance…

[David Séchan]

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